Redouane Ikil
"Je m’appelle Rédouane Ikil et je suis là pour témoigner du fait que mes origines m’ont amené à passer 38,5 mois en prison pour rien, puisque j’ai été acquitté à l’unanimité, grâce à dieu. Je vais vous raconter comment ce cauchemar a démarré et comment les choses se sont ensuite enchaînées. Je suis arrêté le 15 avril 2014 au petit matin. Les policiers me signifient le pourquoi de ma mise en garde à vue et procèdent à une perquisition en bonne et due forme.... Sans rien négliger, on sait jamais, des fois qu’ils trouvent ce qu’ils n’ont pas trouvé en deux ans d’écoutes et de filatures. Lorsque j’entends le motif de l’arrestation, je n’y crois pas un seul instant puisqu’on parle d’enlèvement, séquestration et vol à mains armées en bande organisée. Je leur dis qu’ils commettent une grave erreur, mais dès ce moment-là, je comprends que je ne vais pas être traité comme tout le monde. En effet, le directeur d’enquête voit 120 euros sur la table et me dit de les prendre «car là où je vais, j’en aurai besoin». Je lui demande ce que cela signifie, il m’explique, avec le sourire, que je dormirai en prison dans deux jours. Je le prends comme un coup de bluff: sachant que je n’ai rien fait, je ne vois pas comment je pourrais aller en prison, surtout que je n’ai pas de casier judiciaire. Nous partons au commissariat pour les premières auditions et les perquisitions réglementaires. Je tiens à signaler que les policiers vont tout faire pour m’humilier. Au lieu de cacher les menottes quand nous partons au bureau Poste dont j’étais le directeur, ils exigent que les menottes soient apparentes et qu’on passe par l’entrée du public afin que tout le monde me voit ainsi. J’étais très apprécié en ma qualité de directeur et reconnu pour ma droiture, donc un sentiment de honte m’a envahi immédiatement lorsque nous sommes arrivés au bureau. Il est bien évident qu’ils n’ont rien trouvé contre moi, la preuve c’est que cette perquisition a duré cinq minutes. Ils me disent que ça fait deux ans qu’ils sont sur moi, mais que je suis soit trop fort, soit innocent pour de bon, car rien n’a transpiré de mes actes de banditisme. Ils optent finalement pour la première option: trop fort pour être innocent. Je suis présenté devant le procureur et devant le juge des libertés et de la détention, qui vont statuer sur mon sort: c’est soit la prison, soit un contrôle judiciaire. Le procureur, que je nomme ici devant vous puisqu’il est connu pour ses positions xénophobes, Monsieur Francis Boyer, m’indique vouloir ma tête et dit que j’en prendrai pour vingt ans minimum. Je lui réponds qu’à ce stade, je ne vois pas comment il peut dire ça car même les policiers m’ont dit qu’il n’y avait pas grand-chose dans le dossier. Le juge, lui, va se ranger du côté du procureur, en essayant de se justifier: «Monsieur Ikil, nous avons besoin de vérifier vos déclarations, donc je vous place sous mandat de dépôt. Cela devrait durer 4 mois. » Je suis choqué qu’on me mette en prison sans rien. Je n’ai pas de casier judiciaire, pas de fréquentation douteuse, pas d’argent douteux… Quand je peux voir ma femme, elle est blanche comme une aspirine; mon avocat lui a annoncé que je pars en prison. J’ai peur qu’elle fasse un malaise car à ce moment-là elle est enceinte de trois mois. Je la rassure, je lui dis que cela ne va pas durer et que 4 quatre mois, c’est pas la fin du monde si cela permet de m’innocenter définitivement. Je pars donc en prison. Il est 23h45 lorsque nous faisons les formalités d’admission au centre pénitentiaire de Seysses (Toulouse). Je suis très surpris d’être soulagé d’être enfin en prison. La garde à vue de trois jours et demi m’a fatigué. Je me sens sale, j’ai faim puisque je n’ai pris que de l’eau pendant cette maudite garde à vue. La prison est un monde que je ne connais qu’à travers les amis d’enfance, je ne connais pas ce monde. Évidemment, j’appréhende les premiers jours. La première nuit, un détenu du quartier des arrivants met le feu à sa cellule, donc je vous raconte pas l’ambiance. Après, un truc symptomatique de la prison, c’est les cris aux fenêtres. C’est quelque chose qui me marquera à vie, puisque j’ai entendu ces cris pendant plus de 3 ans et je les entends encore durant mes nuits, je les cherche dans le silence de notre appartement. Je suis accueilli par des personnels somme toute assez sympas, qui n’arrêtent pas de me mettre en garde sur la violence de la prison, sur le racket permanent. Cela ne met pas forcément dans un bon état d’esprit... Je vais aller en bâtiment quatre jours après mon entrée. Le chef de bâtiment qui reçoit chaque arrivant m’indique lui aussi qu’ici ce n’est pas des cadres supérieurs que je vais côtoyer, et que je devrais me méfier de tout le monde. Il me fait l’immense honneur de me laisser seul deux jours, car tout le monde est doublé en cellule. Il m’indique qu’il faut que je trouve quelqu’un très vite pour partager une cellule. Dès la première fois je sors en promenade afin de voir le ciel et pour voir si je connais des visages. Je suis au premier étage donc nous sortons parmi les premiers. Je ne reconnais personne. Je tourne machinalement comme tout le monde sans me poser de question. Je marche seul, puis je m’arrête contre le grillage. Là, je vois un visage qui m’est familier, je suis soulagé, cela me fait du bien, surtout que c’est un gars de ma génération. Il n’en croit pas ses yeux, car ce n’est pas encore passé à la télévision locale. Je lui raconte brièvement mon cauchemar. Il tente de me rassurer en me disant que ça va bien se passer, qu’il n’y a que des gamins. Il me demande avec qui je suis en cellule, je lui dis que je cherche avec qui me mettre. Il regarde dans la promenade, parle avec deux ou trois gars pour m’en trouver un qui ne fume pas, car c’est un sujet de conflits. Un mois après, je suis réveillé pour aller au parloir avocat. Je ne comprends pas, mon avocat ne m’a pas prévenu de cette visite. Une fois arrivé à la porte, je suis dirigé vers le greffe, et là, il y a les hommes cagoulés de la BRI. Le ton monte rapidement, ils menacent de me casser les dents à coups de crosse de pistolet si je la ramène. On me signifie à nouveau le début d’une garde à vue. Je suis sidéré, je n’en crois rien. Ils m’annoncent que c’est pour un deuxième braquage. Cette fois, je sais comment il faut réagir : je ne dis pas un mot, et ça énerve beaucoup les enquêteurs. Je souhaite garder le silence, comme le permet la loi. On procède donc à des perquisitions qui avaient été déjà faites, et, histoire de m’humilier encore plus, on repart sur les agences dont j’ai eu la charge, où je suis exhibé menottes aux poings.Cela dure encore trois jours, trois jours qui n’auront servi à rien à part me trimballer d’un point A à un point B. Comme c’est un nouveau braquage, je rencontre une nouvelle juge d’instruction qui m’annonce qu’elle va joindre les deux affaires puisqu’à priori c’est la même équipe. Je vais malheureusement changer une troisième fois de magistrat puisqu’elle sera mutée peu après. Je rencontre alors le juge qui va s’acharner sur moi et sur mon frère : le 31 octobre 2014 se passe une longue audition de 4h45. Il essaie de m’impressionner à plusieurs reprises, mais comme je sais que j’ai rien fait, je lui dis très clairement qu’il ne m’impressionne pas car il ne trouvera rien contre moi. Il me donne son scénario: « vous êtes le cerveau et votre frère et le braqueur arrêté sont les bras armés». Il termine en disant qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir pour le démontrer et m’amener aux assises en compagnie de mon frère. Depuis ce jour-là, il n’a de cesse d’orienter l’enquête, allant même jusqu’à dissimuler des pièces qui m’innocentent. Il sait très bien que personne ne lui dira rien. En effet, au bout de quatre mois, la commission rogatoire constate dans sa synthèse que je n’avais pas pu avoir accès aux informations nécessaire à la commission des faits et que, par conséquent, il est peu probable que j’aie participé à ce braquage. La confrontation avec le braqueur, que j’ai demandée le 22 mai 2014 m’est refusée: elle aurait pourtant apporté une preuve supplémentaire de mon innocence. Le 6 juin 2015, je suis sensé être mis en liberté provisoire: le président de la cour d’appel a dit à mon avocat qu’ils ne peuvent plus me garder, ils n’ont rien de concret contre moi. Mais je ne sors pas, car mon juge chéri, a demandé une fleur à son collègue, en lui demandant de me garder car il va rentrer un truc «béton». Le 2 juillet 2015, mon avocat vient me voir en catastrophe pour m’annoncer que mon frère vient de se faire incarcérer suite au témoignage d’un ami à lui. Ce dernier a fait une déposition mettant en cause mon frère et m’impliquant indirectement. Finies mes chances de sorties. Je demande immédiatement une confrontation avec ce jeune homme. On me l’accorde. Je lui demande si on se connaît, il répond que non, alors je lui pose la question tout naturellement: «Pourriez-vous répéter ce que vous avez dit en audition?». Gros blanc. Tout gêné, il me répond: «Je confirme! » Je lui demande une nouvelle fois de répéter, car il a été extrêmement précis dans sa déposition donc, il doit forcément se souvenir. Il ne répond pas et le juge vient à la rescousse en disant qu’il confirme, alors même que dans ces moments-là, la personne doit répéter. Sauf si c’est pas elle qui l’a dit, et là, ça explique sa gêne. Je l’ai pris en défaut à deux reprises. Puis on me fiche S pour durcir mon régime de détention. Je suis privé du droit au travail et au sport, je subis les fouilles à nu systématiquement après chaque parloir. Ma cellule est fouillée chaque semaine, j’ai une ronde la nuit toutes les deux heures, soi-disant pour prévenir les risques de suicide et d’évasion. Le principe, c’est qu’ils allument la lumière et vous demandent de lever le bras ou de bouger, ce qui a pour effet de couper votre sommeil. Je suis une dernière fois convoqué chez ce maudit juge pour la clôture de l’instruction. Je suis content car c’est la dernière fois que je le vois. Il me dit avec un large sourire que les motifs de renvoi devant la cour d’assise de Toulouse changent. Il avoue qu’il n’a rien pour accréditer la thèse de la complicité et qu’il ne veut pas que je sois acquitté. Par conséquent, il modifie le chef d’inculpation: je passe commanditaire de ces deux braquages. Mon avocat m’explique que c’est pour alourdir la peine en cas de condamnation, mais que c’est à peu de choses près la même chose. Les gendarmes qui m’escortent sont choqués d’entendre ce discours : si le juge n’a pas assez pour me faire condamner pour complicité, alors pourquoi 38 mois de prison? Ils n’ont jamais vu ça, surtout pour quelqu’un qui n’a pas de casier judiciaire et présente toutes les garanties de représentation. J’ai un logement, un travail: un bracelet suffirait. Bref, je repars dans ma prison attendre la date de mon procès, je suis impatient de pouvoir m’expliquer devant des jurés qui sont normalement neutres. La date tombe enfin, le 21 juin 2017! Je suis donc transféré à Toulouse pour le procès. Je rencontre le président de la cour d’assise une semaine avant le procès et on me donne la liste des jurés et celle des témoins. La liste des témoins est juste hallucinante, la durée du procès également. Nous sommes deux dans le box et le procès est programmé pour 10 jours, ce qui est rare voire exceptionnel. En effet, habituellement pour les affaires avec deux mis en examen, cela dure entre quatre et cinq jours. Il y a cent sept témoins ! Ils ont mis le paquet pour tenter de trouver quelqu’un qui me mette en cause! L’objectif est aussi d’impressionner les jurés ; ils vont se dire que c’est une grosse affaire avec de gros voyous... Le procès intervient en plein Ramadan. Les jurés sont à l’écoute, ils posent des questions. Les témoins défilent tous un à un, et pas un ne dit un élément négatif me concernant. Les deux moments forts du procès sont: - quand les enquêteurs avouent ne pas avoir cru en mon récit d’agression. Pour cette raison, ils n’ont même pas essayé de trouver d’éventuels coupables. - quand la directrice de la poste qui a été braquée se met à pleurer et crie pourquoi j’ai été mis en garde à vue. C’est parce que les flics lui ont dit, mot pour mot: «aidez nous à trouver quelque chose contre Rédouane Ikil car nous n’avons rien et le juge nous demande sans cesse de trouver quelque chose. » Après tous ces éléments, les plaidoiries du procureur et de la partie civile arrivent comme le coup de grâce: ils demandent trente ans contre moi ! Sans aucune preuve, puisque que le procès a démontré que je ne pouvais pas être derrière tout cela. Heureusement, les plaidoiries de mes avocats sont percutantes et très démonstratives. Après six heures de délibéré, j’obtiens l’acquittement et le guetteur prend quinze ans. Je vous laisse imaginer la réaction du juge d’instruction. Il a immédiatement demandé au parquet de faire appel car pour lui, il est hors de question que je perçoive un euro de la justice. Bilan: j’ai perdu trente-huit mois et demi de ma vie, j’ai pas vu naître mon dernier enfant, je ne l’ai vu qu’au parloir pendant ses trois premières années, j’ai perdu mon emploi car La Poste ne veut plus de l’Arabe qui leur a bien servi lorsqu’il fallait restructurer les bureaux dans les quartiers sensibles, j’ai vendu ma maison pour payer une défense qui tienne la route car nous ne sommes pas tous égaux face à la justice.… Tout ça parce que j’ai eu la malchance de rencontrer l’équipe de magistrats la plus dégueulasse de la place. En effet, les trois magistrats : juge d’instruction, juge des libertés et de la détention et procureur sont tous trois connus pour leur positions politiques xénophobes." Redouane Ikil Bandung du Nord, Mai 2018