L'ordre et la force
https://www.acatfrance.fr/public/rapport_violences_policieres_acat.pdf
"AFFAIRE WISSAM EL-YAMNI : AUTOPSIE D’UNE ENQUÊTE AUX MULTIPLES IRRÉGULARITÉS
L’enquête judiciaire réalisée dans l’affaire Wissam El-Yamni est emblématique de tout ce qui est décrit ci-dessus. La nuit du 31 décembre 2011 au 1er janvier 2012, Wissam El-Yamni, 30 ans, était interpellé à Clermont-Ferrand dans des circonstances troubles et décédait quelques jours plus tard. Wissam El-Yamni fêtait alors la nouvelle année avec des amis sur le parking d’un supermarché, lorsque des policiers ont reçu un jet de pierre à leur passage. S’en sont suivies une course-poursuite puis l’arrestation de Wissam El-Yamni. Plusieurs témoignages af rment que ce dernier a alors reçu des coups avant d’être embarqué et conduit au commissariat de police. Le trajet dure à peine quelques minutes, puis une incertitude otte sur ce qui s’est passé à son arrivée au commissariat. Wissam El-Yamni se retrouve inanimé, sans ceinture et pantalon baissé, allongé à plat ventre dans le couloir du commissariat. Il est alors conduit à l’hôpital où un arrêt cardiaque est constaté. Placé en coma artificiel, il décédera neuf jours plus tard. Ce décès est ponctué de nombreuses incertitudes et contradictions, que l’enquête n’a pour l’instant pas permis de lever. L’affaire est toujours en cours.
Incertitudes sur la cause du décès
Plusieurs expertises médicales se succèdent, mais se contredisent. Les premiers comptes rendus médicaux rédigés aux urgences font état de plusieurs fractures et lésions, notamment au niveau du cou, décrites comme de possibles marques de strangulation. Un rapport d’autopsie mettra ensuite en cause la pratique d’un « pliage », dont l’effet aurait été accentué par une malformation osseuse de la victime, et exclura tout décès par strangulation. De nouvelles expertises médicales invoqueront par la suite un décès dû à une intoxication cardiaque provoquée par la consommation de drogues, hypothèse pourtant exclue par les précédents rapports médicaux et démentie par un rapport de toxicologie réalisé à la demande de la famille.
Contradictions dans les versions policières
Farid El-Yamni, le frère de la victime, s’étonne que certaines contradictions dans les déclarations des policiers n’aient pas été relevées par les juges d’instruction. « La chambre d’instruction relate une version d’un policier, qui affirme que Wissam faisait mine de mourir à l’arrivée au commissariat. Elle ne révélera pas que cette version a évolué, ce même policier affirmant dans d’autres déclarations qu’il était parfaitement conscient puisqu’il parlait, ce qu’un autre policier dans le couloir confirme. »
Disparition d’éléments de preuve ?
Méli-mélo de photos
Plusieurs photographies de la victime ont été réalisées entre son interpellation et son décès. Selon son frère, des photos ont été prises par la police dès le lendemain de l’interpellation : le procès-verbal de police du 1er janvier mentionne l’existence de clichés photographiques. Cependant, aucune photo du 1er janvier n’a jamais été communiquée par la police. D’autres photos ont ensuite été prises le 2 janvier (par les médecins de l’hôpital), puis le 3 (par la famille), puis autour du 9 (par la police), et en n le 10 janvier après le décès (par la police). Sur ces derniers clichés, les blessures se sont alors fortement estompées, la victime ayant continué à recevoir des soins lorsqu’elle était plongée dans le coma. Selon la famille, c’est pourtant l’avant-dernière série de photos qui a été versée au dossier judiciaire en étant présentée comme celles du 1er janvier. Il a fallu à la famille de Wissam El-Yamni de nombreuses démarches pour démontrer qu’il ne pouvait pas s’agir des clichés de cette date. Face à cet imbroglio de photos, la chambre d’instruction a, à la suite d’une demande de la famille, ordonné que les ordinateurs et les appareils photo de la police soient expertisés. Supervisée par l’IGPN, cette analyse se révélera très incomplète, ce qui obligera la juge d’instruction à ordonner une deuxième commission rogatoire. Selon la famille, cette nouvelle expertise a révélé, en 2014, que les ordinateurs et les appareils photo avaient été formatés en janvier 2013, ce qui ne permet pas de dater les photos versées au dossier judiciaire. Les clichés du 1er janvier restent, quant à eux, introuvables.
Enregistrements audio partiels
La famille a par ailleurs demandé l’exploitation des bandes radio et des images de vidéosurveillance sur le trajet emprunté par la police avant d’arriver au commissariat, puis à l’intérieur du commissariat. Obtenus début 2014, ces enregistrements sont, selon le frère de la victime, morcelés et incomplets. Certains passages font défaut.
Disparition de la ceinture de Wissam El-Yamni
Le soir de son interpellation, la victime portait une ceinture, visible sur les vidéos où il apparaît avant d’être conduit au commissariat. Cette ceinture a cependant disparu par la suite et n’a jamais été remise à la famille avec ses effets personnels. « Elle a vraisemblablement été retirée à Wissam avant son arrivée au commissariat, puisque ce dernier avait été déposé le jean baissé dans un couloir.
« Où est passée sa ceinture ? Pourquoi avoir baissé son jean ? », demande son frère Farid.
Que de questions dans cette affaire, auxquelles les autorités de police ne donnent pas d’explications. Le rapport d’enquête de l’IGPN a conclu, n janvier 2012, à un décès dû à la pratique d’un pliage, et ajoute que « rien ne permettait de penser que les conditions de l’arrestation avaient été irrégulières ». Une information judiciaire a été ouverte contre deux policiers pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ». Dans cette affaire, le Défenseur des droits s’est autosaisi en février 2012. "