Emerson
" Je dois être moi-même. Je ne puis pas plus longtemps m'annihiler pour vous. Si vous pouvez m'aimer tel que je suis, nous en serons plus heureux ; si vous ne le pouvez pas, je m'efforcerai de mériter votre affection. Mais encore une fois, je dois être moi-même, et je ne cacherai pas mes goûts et mes aversions. Ainsi je vous affirmerai ce qui m'est intime est sacré, et en face de l'univers j'accomplirai courageusement les pensées qui intérieurement me réjouissent et le but que mon coeur m'assigne. Si vous êtes nobles, vous m'aimerez ainsi ; si vous ne l'êtes pes, je ne vous choquerai pas vous et moi-même par d'hypocrites attentions. Si vous êtes véridiques, mais ne croyant pas aux même vérités que moi, attachez-vous à vos compagnons, je chercherai les miens. Je ne fais pas cela d'une manière égoïste, mais humblement et sincèrement. C'est votre intérêt, le mien et celui de tous les hommes de vivre dans la vérité, quelque temps que nous ayons habité dans la mensonge. Cela vous semble-t-il dur aujourd'hui ?
Mais vous aimerez bientôt ce qui vous est dicté par votre nature, et si nous suivons l'un et l'autre la vérité, à la fin elle nous conduira sains et saufs au but. Mais me dira-t-on, en agissant ainsi vous pouvez affliger vos amis. Oui, mais je ne puis pas vendre ma liberté et mon pouvoir par crainte de blesser leur sensibilité. D'ailleurs, tous les hommes ont leur moment de raison où ils tournent les yeux vers l'absolue vérité ; à ce moment-là, ils me justifieront et feront les mêmes choses que moi.
Et véritablement, il est nécessaire qu'il ait en lui quelque chose de divin, celui qui a rejeté les communs motifs de l'humanité et s'est aventuré à se confier lui-même. Haut doit être son coeur, fidèle sa volonté, claire sa vue, pour qu'il puisse être à lui même sa doctrine, sa société, sa loi, pour qu'un simple motif puisse être pour lui aussi puissant que la nécessité de faire l'est pour les autres.
Si on considère l'esprit présent de la société, on sentira la nécessité de cette morale. Les nerfs et le coeur de l'homme semblent desséchés, et nous sommes devenus de timides pleurards découragés. Nous craignons la vérité, nous craignons la fortune, nous craignons la mort, nous craignons les uns les autres. Notre siècle ne contient pas de grandes et parfaites personnes. Nous manquons d'hommes et de femmes qui puissent renouveler notre vie et notre état social ; nous voyons que la plupart des natures de notre temps sont insolvables, qu'elles ne peuvent satisfaire leurs propres besoins, qu'elles ont une ambition hors de toute proportion avec leur force pratique et vont ainsi jour et nuit s'affaissant et mendiant. La rude bataille de la destinée qui donne la force, nous l'évitons."