Violences policières. Vers un non-lieu dans l'affaire Wissam El-Yamni
Violences policières. Vers un non-lieu dans l'affaire Wissam El-Yamni
Huit ans après l'ouverture de l'information judiciaire sur le décès de ce jeune homme suite à une interpellation par des policiers, l'instruction s'est bouclée sans aucune mise en examen. La f...
https://www.humanite.fr/violences-policieres-vers-un-non-lieu-dans-laffaire-wissam-el-yamni-682882
Huit ans après l’ouverture de l’information judiciaire sur le décès de ce jeune homme suite à une interpellation par des policiers, l’instruction s’est bouclée sans aucune mise en examen. La famille redoute un non-lieu dans ce dossier symbolique de l’impunité policière. L’affaire Wissam El-Yamni est en passe de s’éteindre. Comme nous le révélons, la juge d’instruction a décidé, en novembre dernier, de clore cette enquête qui dure depuis huit ans en ne prononçant aucune mise en examen à l’encontre des fonctionnaires de police impliqués. Et ce, alors qu’une récente expertise judiciaire continue de mettre en cause, de manière accablante, les conditions de leur intervention. Qu’importe, la justice considère avoir terminé ses investigations sur la mort du chauffeur routier de 30 ans, interpellé violemment dans la nuit de la Saint-Sylvestre 2012, dans un quartier populaire de Clermont-Ferrand, et décédé quelques jours plus tard à l’hôpital. Le jeune homme avait été retrouvé inanimé, gisant à même le sol, face contre terre, jean baissé, dans un couloir du commissariat où les fonctionnaires l’avaient déposé, avant que l’un d’eux appelle les secours. Emmené aux urgences du CHU de Clermont-Ferrand, il y décédera après neuf jours de coma. Sa mort avait provoqué la colère des habitants et des voitures avaient été incendiées deux nuits durant. Comme pour calmer les tensions, le procureur de la République avait ouvert en janvier 2012 une information judiciaire pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique » . Policiers en simples témoins assistés Myriam Fenina, la juge d’instruction qui a repris le dossier depuis 2014, a transmis ses conclusions au parquet le 20 novembre dernier sans prononcer de mise en examen, estimant manifestement que Pascal F. et Arnaud P., les deux policiers de la brigade canine ayant interpellé le jeune homme, n’étaient pas responsables du décès. La famille redoute désormais un non-lieu. Le comité Justice et Vérité pour Wissam, qui organise ce jeudi une conférence de presse, dénonce le manque d’empressement des autorités pour éclairer les circonstances du drame. « En huit ans, nous n’avons eu ni la vérité ni la justice, regrette Marwa El-Yamni, sa sœur. On se sent trahis, les policiers sont là pour faire leur métier et non pour tuer. » En 2014, deux fonctionnaires de police avaient pourtant été mis en examen pour coups mortels. Une procédure annulée dès l’année suivante par la chambre d’instruction de la cour d’appel de Riom. Les magistrats motivent alors ainsi leur décision : « Rien ne permet de considérer que la mort de Wissam El-Yamni est liée à un comportement anormal des policiers. » Les agents sont depuis sous le statut de simples témoins assistés. Les proches du défunt soutiennent, eux, que Wissam a été tabassé par la police lors de son arrestation et dans le commissariat, ce que nient les deux agents. L’un d’eux admet seulement un « coup de poing » et soutient que seul leur chien, qui aurait fait tomber Wissam, serait à l’origine des traces de blessures… Un scénario hautement improbable. Mais difficile à démonter tant les avocats des parties civiles, Jean-Louis Borie et Jean-François Canis, n’ont eu de cesse de se heurter à la mauvaise volonté de la justice. En mars 2017, après cinq ans d’information judiciaire, ils en étaient encore à réclamer des actes d’enquête basiques : l’audition par la juge d’instruction elle-même des témoins de l’interpellation ainsi que ceux présents au commissariat, l’explication de la disparition du disque dur de l’appareil photo utilisé lors des premières constatations, la raison du formatage de l’ordinateur d’un agent, la récupération les enregistrements radio des policiers et de leurs appels téléphoniques… Des demandes simples, mais restées lettre morte. Le calvaire continue Le même scénario se reproduit deux ans plus tard, le 23 septembre 2019. Les avocats réclament à nouveau l’audition par la juge de témoins cruciaux ainsi que des policiers mis en cause en présence des parties civiles. Ils veulent également que des recherches soient lancées pour trouver la ceinture du jeune homme, qui n’a jamais été placée sous scellés, ou encore que soient reconstitués les gestes employés par la police lors du trajet jusqu’au commissariat. Résultat ? Le 19 novembre dernier, toutes ces demandes d’actes, y compris celles formulées en 2017, sont rejetées par la juge d’instruction. Dans son ordonnance, dont l’Humanité a pris connaissance, elle considère que certains actes ont « déjà été réalisés » et que d’autres demandes se « révèlent inopportunes voire matériellement impossibles ». Face à ce refus, les avocats ont saisi la chambre d’instruction de la cour d’appel de Riom. Les magistrats vont-ils ordonner de nouvelles investigations dans ce dossier sensible ? En attendant leur décision, le calvaire continue pour la famille. « Depuis huit ans, nous attendons de savoir ce qu’il s’est passé, dénonce Marwa, la sœur de Wissam El-Yamni. C’est impossible de faire notre deuil. C’est dur, surtout pour nos parents, qui se sentent humiliés par la France. » La technique du pliage en cause Les proches n’en sont pas à leur première déconvenue. En 2016, la justice avait déjà signifié la fin de l’instruction, s’appuyant notamment sur des expertises judiciaires aux conclusions douteuses. Et il aura fallu beaucoup d’abnégation pour que les avocats obtiennent la réalisation d’un contre-examen médical indépendant sur les causes du décès, dont les conclusions ont été rendues à la juge deux ans plus tard, en janvier 2019. Le document, dont l’Humanité s’était fait l’écho à l’époque, est sans appel. Il démolit les conclusions prétendument scientifiques des expertises judiciaires précédentes. Point crucial : il pointe que « l’intervention d’un tiers », associée à une consommation « importante » d’alcool et au stress de l’arrestation, peut être retenue comme « facteur déclenchant » du malaise ayant conduit à la mort de Wissam El-Yamni. L’expertise met également en cause la technique policière du pliage consistant à maintenir la tête appuyée sur les genoux de l’individu agité. En d’autres termes, les causes du décès sont à chercher du côté des gestes employés par au moins un des agents. Au début de la procédure, l’IGPN avait d’ailleurs mis en avant cette hypothèse. Bref, huit ans après la mort du jeune homme, l’affaire resurgit par là où elle avait commencé : le pliage. De quoi donner un coup de fouet à l’enquête, pensaient les parties civiles, jusqu’à cette décision de la juge d’instruction de ne prononcer aucune mise en examen… « C’est surprenant que la justice ne tire aucune conséquence de ce rapport, qui rétablit enfin la réalité des choses », estime Me Jean-Louis Borie. « Wissam ne s’est pas fait ces coups tout seul, il n’est pas tombé dans le coma tout seul. Ceux qui ont commis ces actes doivent payer », estime Marwa El-Yamni. Les nouvelles demandes d’acte des parties civiles seront examinées par la chambre d’instruction à une date encore indéterminée. L’épilogue de l’affaire Wissam El-Yamni n’est pas encore écrit.