Je voudrais vous parler de Joachim Gatti.
Il a perdu un œil suite à une intervention policière.
Je pourrais vous convaincre du lien sociologique qu'il y a entre l'injustice que nous vivons et l'injustice qu'il vit. Je ne pense pas être naïf en disant que vous en avez déjà une bonne idée. Sauf si vous vivez sur la planète Mars.
Aussi, je préfère vous parler de ce que vous ignorez, parce que vous ne pouvez que l'ignorer comme je l'ignorais. Je veux entendre par là, ce que Joachim m'inspire.
Je crois que le plus fort lien n'est pas dans ce qu'on a vécu lui et moi mais dans le choix qu'il a fait aujourd'hui comme hier de choisir de mettre du lien entre nous. Entre les victimes de violences policières et les familles ayant subies un crime policier.
Ce lien là il est magique, il est beau, il est le résultat d'un choix.
Joachim aurait pu être un petit bourgeois égoïste, jouissant de ses privilèges comme il y en a tant. Cette vie là lui était écrite, destinée. Elle l'aurait rendu malheureux.
Il a dit non à cette vie, il a refusé la facilité. Il a enduré la souffrance de ses choix sachant que souffrir ne rend pas malheureux. Il a certainement estimé que son âme et la trace de son existence sur terre valaient mieux qu'une vie simple, peut être sereine mais simplement égoïste.
Voici certainement les pensées qui l'ont traversé, à quoi bon d'une vie heureuse à l'écart du malheur des autres. Je refuse d'être heureux par illusion. Je choisis d'encourir des difficultés, tant qu'il y aura des hommes qui souffrent.
Certains diront comme on l'entend beaucoup sur la question des violences policières, celui qui se tient à carreau, n'a rien à craindre. Il n'y a pas de fumées sans feu.
Entendez par là, ayez une vie dans la norme et vous vivrez heureux. Il n'y a pas pire moyen d'être malheureux en réalité.
Joachim a compris que même en étant dans cette norme, qui est un renoncement finalement, on ne peut pas être heureux, on ne peut pas être heureux. Nous le savons tous.
On finit par tourner en rond. Il n'y a pas de bonheur sans don de soi.
C'est ce qu'il y a de plus incompréhensible dans le bonheur mais qu'on retrouve chez la mère se sacrifiant pour son enfant, chez la maitresse qui va partager son savoir avec des élèves.
Ce don de soi, accepter d'être malheureux pour que d'autres ne le soient pas, je peux vous le dire, ça ne rend pas pour autant malheureux.
Le Joachim que je connais, va toujours chercher à vous mettre à l'aise, il va toujours chercher à vous aider même si ça doit lui couter, il va toujours chercher à vous aider avec diplomatie même si ça doit vous couter vos illusions utiles.
Un ami n'est pas quelqu'un qui vous dit ce que vous voulez entendre mais ce que vous devez entendre. Joachim nous traite ainsi, vous et moi, comme ses amis.
C'est cette exigence là de lui même et des autres que je retiens de lui et donc aussi sa cohérence.
Exigence et cohérence fait qu'il fait ressurgir ce qu'il incarne autour de lui.
Ce Joachim là, pour beaucoup est passé à côté de sa vie, c'est un marginal comme il y en a beaucoup, un libertaire diront certains, quelqu'un qui apporte du désordre alors qu'il représente à mes yeux la conscience de ce pays.
Ce Joachim là, partira de ce monde, en se disant dans ses derniers instants qu'il a oeuvré pour un monde meilleur.
Juste cette idée là lui suffit à trouver le courage de continuer à subir les maux de la société et le mépris que le système lui accorde.
Il incarne ce qu'il y a de beau dans l'idée de la France. Il incarne peut être beaucoup plus que les représentants de la république les valeurs républicaines et notamment celle de la fraternité.
La fin ne justifie pas les moyens à ses yeux comme le pensent ses détracteurs. La fin est dans le chemin qu'il emprunte par les moyens qu'il utilise.
Je me devais un moment de remercier ces Joachim en votre nom. Parce qu'ils rendent honneur à vos alleux, à ce que vous chérissez de plus lorsque brillent vos yeux lorsque l'on parle de la France.
Je le remercie en votre nom et pas en mon nom parce qu'il ne me rend pas service. Il vous rend service à vous, Français.
J'aurais aimé nourrir ma vengeance, me laisser aller à la haine du français moyen, haïr ce qu'il devrait incarner dans votre norme et me dire finalement que je vaux mieux que vous. Et que parce que je vaux mieux que ceux qui sont haïssables, je vaux finalement quelque chose.
Joachim m'arrache à travers son combat et ses moyens à ce supplétif de la vacuité.
J'aurais aimé me dire que les blancs sont des salauds, qu'ils sont tous les mêmes, qu'ils sont des barbares froids, dépourvus d'humanité, à la recherche du bonheur matérialiste et d'une hypocrite bonne conscience. J'aurais aimé vous combattre, vous les français moyens, les armes à la main s'il le fallait pour que vos mères pleurent autant que la mienne continue de pleurer et en un instant de violence vous dominer pour faire subir tel un châtiment tout le mal que j'ai emmagasiné, nourrir mes pulsions de mort.
Une partie de moi aurait aimé. Mais je ne peux pas, je ne peux plus.
Ce Joachim là, comme bien d'autres, comme des Cédric, des Janos, des Claire, des Xavier, que j'ai croisé, me renvoient à mon humanité et à mon libre arbitre, à ma contingence.
Peu importe ce que l'on vit, peu importe les châtiments infâmes que l'on subit, on a le choix d'être juste ou injuste, de l'être, le rester ou de le devenir.
Joachim nous interpelle, il vous interpelle, quel projet de société souhaitez vous : la moins pire ou la meilleure ?
Le procès de son mutilateur est pour bientôt, l'aider c'est nous aider, c'est vous aider.